PROMOUVOIR LA DÉMARCHE PROSPECTIVE

prospective>>> Les MOOC trois ans après
>>> La plage abandonnée
>>> Pour mieux aimer la musique
>>> Travailler dur
>>> Le Danemark ou les malheurs de la vertu
>>> Référendums à la demande
>>> Détecter les émotions
>>> Science et science-fiction
>>> Un code de bonne conduite pour les voitures automatiques
>>> Sous les bateaux du Canal de Suez

Les MOOC trois ans après

Les cours en ligne gratuits et accessibles à tous ont été lancés en 2011. Avec ces MOOC (Massive Open Online Courses) les plus pauvres et les plus éloignés allaient pouvoir « entrer » dans les universités les plus prestigieuses du monde. Ce n’est pas encore le cas.

L’utilisateur type des MOOC n’est pas un villageois du bout du monde mais un jeune Américain blanc avec un diplôme universitaire et un travail à plein temps. La plupart de ceux qui se branchent depuis le Brésil, la Chine, l’Inde, la Russie et l’Afrique du Sud, ont déjà fait au moins un an d’université. Et quand les MOOC remplacent des cours traditionnels, un grand nombre d’étudiants (25 à 50%) échouent aux examens ou ne s’y présentent pas.

En fait, ceux qui font cours sur le net sont de bons professeurs, mais ils n’ont pas l’expérience de ce média. La plupart ont l’habitude d’avoir en face d’eux des étudiants brillants, très motivés et familiers des bibliothèques universitaires. Ils font ce qu’ils savent faire et ne connaissent pas les étudiants du bout du monde ou du bout de l’échelle sociale.

Les MOOC sont quand même une innovation prometteuse. Beaucoup s’y inscrivent, non pour un cursus complet (ce qui fausse les statistiques) mais pour quelques cours, le temps de parfaire ses connaissances dans un domaine précis, de construire un business plan ou de préparer une présentation pour le lendemain. Ils sont un excellent appoint aux cours traditionnels et un outil nouveau dans toutes sortes de domaines de la connaissance. Et n’oublions pas qu’ils n’en sont qu’à leurs débuts.

Jeffrey J. Selingo – International New York Times – 3 novembre 2014

 

La plage abandonnée

Les plages de sable ne sont pas aussi immuables qu’elles paraissent aux vacanciers. Une plage est un endroit où le sable s’arrête un moment avant de reprendre son voyage vers le fond des mers, puis de revenir. Jusqu’à il y a peu, c’était un mouvement cyclique qui formait les plages et leur permettait de se réparer elles-mêmes. Ce n’est plus le cas : il faut, chaque année, déverser des tonnes de sable sur le littoral avant le retour de la belle saison.

Un drame se joue, invisible et grave : 75 à 95% des plages naturelles de la planète sont en train de disparaître. Les causes sont multiples et interagissent entre elles : montée du niveau des mers, aggravation des tempêtes, érosion massive due à l’homme.

Les barrages ont bloqué les flux de sable qui se déversaient des montagnes vers les rivières. Or, il faut du sable pour fabriquer abrasifs, verre, plastique, puces électroniques, dentifrice et surtout ciment et béton. Bref, plus on construit, plus on détruit !

Quand on va chercher du sable sous les fonds marins on crée des turbulences qui mettent en danger les barrières de corail, la faune, la flore et l’existence même des plages. Quand on va chercher du sable sous la terre, sous des glaciers très anciens, on creuse de plus en plus profond et on en trouve de moins en moins. En Inde, une « mafia du sable » pille le sable du littoral, malgré les interdictions. En Indonésie, des îles entières disparaissent à cause des mines de sable. Au Sierra Leone, les pêcheurs qui subissent l’extrême pauvreté vendent le sable de leurs côtes … menaçant du même coup la faune des poissons qui est leur gagne-pain.

Le sable vient à manquer partout. Et ne croyez pas qu’il suffirait d’en récolter dans le désert : ses grains trop petits et trop lisses n’adhère pas entre eux, ce sable-là, qui coule et s’envole, ne convient ni à l’industrie, ni au loisir. C’est pourquoi les plages de Dubaï ont été créées artificiellement avec du sable importé d’Australie.

Le sable est le résultat d’une évolution très longue. Enfermé dans les montagnes, il a été relâché dans les rivières par l’érosion avant de parvenir à la mer. Comme l’écrivait en 1958 la biologiste Rachel Carson, « dans chaque courbe de la plage, dans chaque grain de sable, s’écrit l’histoire de la Terre ».  Il est grand temps de considérer le sable comme une ressource naturelle à préserver, au même titre que l’air et l’eau afin que cette histoire ne s’efface pas comme ce qu’on écrit … sur le sable.

John R. Gillis – International New York Times – 7 novembre 2014


Pour mieux aimer la musique

Certes les conservatoires de musique français sont débordés par les candidatures. S’agit-il là d’un regain d’intérêt pour l’étude de la musique ? Rien n’est moins sûr. Aux yeux de nombreux parents, faire pratiquer la musique à leurs enfants n’est qu’une aide à la réussite scolaire, comme jadis l’apprentissage du latin et du grec.

On entend sempiternellement parler de la nécessité de dispenser un enseignement artistique dans les collèges et les lycées, mais la musique reste toujours sur le bas-côté. Les salles de théâtre – au contraire des salles de concert –, font en matinée le plein de lycéens emmenés par leurs professeurs de français pour les préparer aux subtilités des grandes pièces du répertoire. Mais où est le professeur de musique ? Qui parle aux lycéens des grands textes musicaux d’hier et d’aujourd’hui ? Qui les leur met dans les oreilles ? Pourra-t-on un jour, en France, voir un élu lancer dans sa ville, dans sa région ou dans son pays, un programme d’éducation et de sensibilisation à la musique en tant qu’art ?

C’est ailleurs dans le monde qu’il faut aller chercher des modèles. La Finlande a mis en œuvre une ambitieuse politique musicale pour tous. Au Venezuela, le programme El Sisterna permet aux enfants des bidonvilles non seulement d’apprendre à jouer d’un instrument et même de s’épanouir au sein d’un orchestre, mais aussi de trouver, à la sortie des répétitions et des concerts, quelque chose dans leur assiette. Il faut voir les immenses orchestres de jeunes qui existent au Japon. Et l’on pense aussi à Claudio Abado, qui a fondé, il y a près de trente ans, l’Orchestre des jeunes Gustave Mahler, ou à Daniel Barenboïm qui, avec Edward Saïd, a créé en 1999 le West-Eastern Divan Orchestra, regroupant de jeunes instrumentalistes israéliens et palestiniens.

Philippe Manoury, compositeur de musique contemporaine – Le Monde – 9 novembre 2014


Travailler dur

Seuls 25% des Français pensent qu’il faut travailler dur pour réussir dans la vie, contre 49% des Allemands, 60% des Britanniques, 73% des Américains. L’information est livrée de façon brute, sans commentaires, dans le magazine Challenges. Elle explique bien des incompréhensions dans le monde du travail. D’abord, cette perception négative particulière à notre pays vis-à-vis de ceux qui réussissent. Pour les trois quarts de nos compatriotes, la réussite n’est liée ni au travail, ni à l’intensité des efforts. Mais à quoi cela tient-il ? La chance, le milieu social, l’appartenance à des réseaux ? Quelle que soit la réponse, le fait d’exclure le travail produit une impression d’injustice et d’inaccessibilité. Cela permet aussi de comprendre les tensions qui existent le long de la chaîne hiérarchique dans certaines entreprises. Si ceux qui sont en haut ne le sont pas en raison des efforts qu’ils ont fournis, ils perdent une grande partie de leur légitimité.

Pourtant, le XXe siècle a vu une inversion historique du rapport au travail. Pendant toute son histoire, l’humanité a fait travailler de façon très dure ceux qui étaient en bas de l’échelle tandis que l’oisiveté était le privilège du sommet. Aujourd’hui, dans les pays développés, les dirigeants d’entreprise travaillent beaucoup plus que ceux qui sont à la base de la pyramide. Outre le temps passé, chacun d’entre eux a une charge mentale qui ne s’arrête pas lorsqu’il quitte son lieu de travail. La réussite se fait fréquemment au prix du sacrifice de la vie personnelle ; et, bien souvent, les acteurs prennent plaisir à ce surinvestissement, au point qu’il n’est pas rare qu’ils aient du mal à décrocher. Tant pour les vacances que lorsqu’il s’agit de prendre leur retraite, s’arrêter n’est pas facile.

Comment faire partager ce goût du travail ? Comment faire en sorte que chacun, à chaque niveau, trouve ce même intérêt, cette même satisfaction de l’accomplissement de la tâche, ce sentiment d’utilité, cette envie de progression et d’amélioration permanente, cette capacité d’initiative ? C’est en France, plus qu’ailleurs, l’un des enjeux majeurs du management.

Travailler dur n’est pas seulement la base essentielle de la réussite, c’est aussi une immense source de satisfaction et d’épanouissement.

Eric Albert – Les Echos – 10 novembre 2014


Le Danemark ou les malheurs de la vertu

Il n’est pas le seul, mais il va plus vite que les autres. Le Danemark s’est donné l’objectif zéro énergie fossile en 2050. Eoliennes et panneaux solaires : 40% de l’électricité du pays sont ainsi produits et on devrait atteindre les 50% en 2020. Le problème c’est que les installations une fois réalisées, cette énergie renouvelable est gratuite. A long terme, bien sûr, ce sera formidable. Mais pour le moment, on est dans une phase de transition difficile. Lorsque le vent ne souffle pas, que le soleil ne brille pas, on a encore besoin des bonnes vieilles sources d’électricité. Or, les installations traditionnelles qui utilisent le gaz, le charbon, l’uranium, coûtent cher et rapportent peu ; elles menacent donc de fermer.

Le Danemark profite encore de l’électricité bon marché de ses voisines : la Suède et ses centrales nucléaires ; la Norvège et ses barrages. Mais la Suède s’apprête elle-même à remplacer le nucléaire par l’énergie verte et les prix de l’électricité norvégienne augmentent car d’autres clients se profilent, notamment la Grande Bretagne.

Le Danemark risque-t-il le black-out ? Peut-être. Pour éviter la faillite des centrales électriques traditionnelles, Rasmus Helveg Petersen, le ministre du Climat, propose de moduler tout simplement le prix du courant électrique pour les utilisateurs : bon marché quand le vent souffle violemment ou quand le soleil brille, cher quand il faut recourir à d’autres sources. Autrement dit un tarif nature/industrie.

Tous les pays d’Europe du nord, l’Allemagne en tête, ont décidé de passer des énergies fossiles aux énergies renouvelables. Et dans tous les pays, les dirigeants serrent les pouces en redoutant des accidents de parcours.

Justin Gillis – International New York Times – 12 novembre 2014


Référendums à la demande

Créée en 2008 par Ben Rattray, un jeune entrepreneur de San Francisco, la plateforme Change.org destinée à lancer des pétitions a très vite essaimé avec succès en Argentine où elle compte 2 millions d’adhérents qui lancent chaque semaine 150 pétitions sur les thèmes les plus divers.

L’utilisateur s’inscrit, rédige sa pétition, indique la personne ou l’institution à laquelle elle est destinée, développe son argumentaire et démarre la collecte de signature. Chaque fois qu’un internaute signe, le système expédie un courriel au destinataire.

Sérieux ou farfelus, les thèmes sont des plus divers : mettre en cause un juge soupçonné de corruption, exiger un tarif étudiant pour les transports publics en ville, créer une structure dédiées à la recherche des personnes disparues, fermer un abattoir équin situé en pleine ville, interdire les activités polluantes à proximité d’un célèbre glacier, changer les tailles des vêtements pour qu’elles correspondent à des corps réels … Les sujets peuvent être individuels (une fillette en attente de greffe), régionaux (la construction d’une école), nationaux (améliorer la prévention du diabète).

De nombreuses de pétitions ont abouti.
Le principe fonctionne depuis très longtemps en Suisse, il se développe ailleurs (l’Estonie, notamment). Ce qui est nouveau, c’est l’utilisation d’Internet. Progressivement, des règles se mettent en place, car tous les abus sont possibles. Mais l’efficacité du dispositif le rend irrésistible. « Avant l’avènement d’Internet », explique Gastón Wright, directeur de l’antenne argentine de Change.org, « il fallait se poster à un endroit stratégique et attendre que les gens passent devant vous pour récolter des signatures. Aujourd’hui, tout le monde peut participer et le citoyen lambda se sent investi d’un pouvoir qui lui permet de se faire entendre des autres. »

Gonzalo Sànchez – Clarin, Buenos Aires – 18 octobre 2014
Repris par Courrier International – 13 novembre 2014


Détecter les émotions

Le monde de 1984, Minority Report, Hunger Games est à nos portes. La capacité de tout savoir sur une personne va bientôt s’ajouter à l’arsenal technologique que chacun d’entre nous a déjà entre les mains.

Nos smartphones seront capables de reconnaître un visage ou une voix. Ils pourront pallier nos trous de mémoire et aider les malades d’Alzheimer à se souvenir de leurs connaissances (à condition, bien entendu, qu’ils parviennent encore à se servir de leur appareil).

Nous pouvons déjà mesurer ce que fait notre corps avec des capteurs d’activité ou des montres connectées. Il en sera bientôt de même avec nos sentiments. Nous le faisons intuitivement – les policiers et les joueurs de poker mieux que la plupart d’entre nous. Mais plus le comportement naturel de notre cerveau sera augmenté par la technologie, plus produirons des données mesurables et vérifiables. Des logiciels d’analyse des expressions du visage ou de la voix détermineront les émotions d’une personne ou son degré de franchise puis projetteront les résultats via une application sur un écran ou des lunettes à réalité augmentée. Des centres d’appel testent les techniques d’analyse de la voix pour aider les opérateurs à mesurer le degré d’énervement de leurs interlocuteurs.

Mais s’il est possible d’évaluer ainsi la bonne foi de tout un chacun, que deviendront la politesse et les pieux mensonges qui facilitent tant les rapports sociaux ? Alors, à mesure que nos petites impostures seront révélées, apparaîtra sans doute un marché des technologies permettant de cacher les émotions. La technologie fera-t-elle mieux que les foulards, capuches et autres masques dont c’est déjà une des raisons d’être ?

Gary Shapiro – The Washington Post – 31 octobre 2014
Repris par Courrier International – 13 novembre 2014


Science et science-fiction

Interstellar contient autant de science que de fiction. Pas étonnant : les données scientifiques qu’il expose ont été validées par Kip Thorne, co-producteur et consultant du film.

Kip Thorne, 74 ans, professeur de physique théorique, est renommé pour ses travaux sur les trous noirs et les effets de la gravité sur le continuum espace-temps. Auteur de recherches savantes et d’ouvrages de vulgarisation scientifique, il a notamment écrit Trous noirs et distorsions du temps : l’héritage sulfureux d’Einstein.

Ce savant a un don naturel pour la physique. Dans la vie de tous les jours – par exemple, lorsqu’il sent le vent souffler sur sa peau – il comprend presque instinctivement les phénomènes physiques. Enfant, il rêvait de conduire un chasse-neige. Puis il a trouvé sa véritable vocation à l’âge de 8 ans, lorsque sa mère l’a emmené avec elle à une conférence sur le système solaire.

Les voyages dans l’espace sont à ses yeux une réelle possibilité, mais pour le long terme.

« Il est réaliste de penser que le XXIIe siècle sera celui de l’exploration du système solaire. On peut espérer que l’homme ira sur Mars, et peut-être même sur des satellites de Jupiter et Saturne. Mais il faudra plusieurs siècles avant d’aller au-delà. La distance de la Terre à la prochaine planète habitable est d’environ 12 années-lumière et nous ne disposerons sans doute pas au cours du prochain siècle de la technologie qui rendrait ce voyage viable. Je plaide pour commencer à y travailler dès maintenant afin d’y arriver dans quelques siècles ».

« Nous devrions également consacrer davantage de ressources et d’énergie à la recherche de formes de vie extraterrestres, en guetter les signaux. Les probabilités sont faibles, mais les espoirs incommensurables : recevoir de tels signaux aurait un impact profond. Outre des applications théoriques et technologiques, ce serait la compréhension de notre place dans l’univers.

Le voyage à travers un trou noir décrit dans Interstellar n’est pas réaliste du point de vue de la physique, et c’est vraiment dommage. Mais je suis certain que l’humanité trouvera d’autres chemins à travers les étoiles».

Propos recueillis par Sohrab Ahmari – The Wall Street Journal – 17 novembre 2014


Un code de bonne conduite pour les voitures automatiques

La voiture entièrement automatisée ne relève plus de la science-fiction : des prototypes circulent notamment sur le campus de Google dans la Silicon Valley ; le ministère des Transports britannique a annoncé que ces véhicules pourraient être autorisés à emprunter les routes du pays dès l’année prochaine.

Reste à en règlementer l’usage. C’est ainsi qu’en d’autres temps il a fallu inventer le Code de la route.

Les Etats-Unis donnent le ton. Après le Nevada, le Michigan, la Floride, la Californie a mis en place une réglementation ad hoc. Il suffira d’avoir un permis classique en règle (avec pas plus d’une infraction mineure dans les trois dernières années) pour pouvoir se former à la conduite d’une voiture entièrement automatique et obtenir un permis de conduire spécial, valable un an. Les entreprises qui procèdent à des essais doivent souscrire une assurance de 5 millions de dollars ou déposer une caution. Google, Daimler Benz, Tesla, Delphi et Volkswagen ont déjà cette autorisation.

On n’en est qu’à la période des essais techniques. Avant que ces voitures ne soient commercialisées et ne circulent sur les routes, bien des questions devront avoir été résolues. Par exemple : le passager ex-conducteur aura-t-il le droit de faire une petite sieste tandis que sa voiture l’emmènera toute seule en ville ? Les enfants seront-ils autorisés à s’en servir sans la présence d’un adulte à bord ?

La probabilité paradoxale c’est que la voiture automatique réduira considérablement le nombre d’accidents de la route (90% sont dûs à une erreur humaine). Avec toutes sortes de conséquences induites, notamment celle-ci : moins d’accidents, moins de morts sur les routes … moins de donneurs d’organes, si utiles à la chirurgie ! Mais on peut espérer que cela accélérera la mise au point des organes artificiels qui ne fait que commencer.


Erin Griffith – Fortune.com – 15 août 2014
Verne Kopytoff – Fortune – 17 novembre 2014


Sous les bateaux du Canal de Suez

Un projet colossal de doublement de la largeur du Canal de Suez a été annoncé par le président égyptien Abdel Fattah el-Sissi. 10% des navires du monde empruntent ce raccourci entre l’Asie et l’Europe, qui rapporte à l’Egypte 5 milliards de dollars par an.

Le problème c’est que toutes sortes d’espèces marines invasives malvenues passent par le même chemin. Déjà, chaque été, des méduses autrefois cantonnée à la Mer Rouge (Rhopilema nomadica) envahissent le littoral méditerranéen du Moyen-Orient, repoussant les baigneurs car elles sont très urticantes, et détruisant la pêche car elles enveloppent les poissons d’un mucus et lui donnent mauvais goût. Un poisson- globe (Lagocephalus sceleratus), prédateur particulièrement agressif a été vu en Méditerranée pour la première fois en 2003 ; il y est aujourd’hui l’un des dix poissons les plus abondants. Près des côtes turques, deux espèces de poisson herbivore ont déjà grignoté en grande partie la forêt d’algues qui sert de refuge contre leurs prédateurs à de très nombreux animaux marins, mettant ainsi en péril toute la chaîne alimentaire naturelle de la mer.

Que se passera-t-il lorsque le canal aura doublé de volume ? Dix- huit chercheurs ont publié en septembre alerte dans la revue Biological invasions : « nous jouons à la roulette russe, non avec un golfe ou un fleuve, mais avec la Méditerranée tout entière ».

Aucune étude de l’impact environnemental n’a été lancée avant le projet de construction. Des solutions existent, qui ont été expérimentées ailleurs comme des rideaux de bulles d’air (mais est-ce faisable vu l’ampleur du canal ?), des murs d’ultra-sons ou d’infra-sons (qui risquent d’être assourdis par le bruit des navires). La technologie la plus prometteuse pour le canal de Suez a un précédent. Au début du XXème siècle, des lacs naturels, salés et amers, coupaient le canal et empêchaient les espèces de passer. Il serait relativement facile de réimplanter une barrière saline dans le canal.

Encore faut-il le vouloir. Jusqu’à présent ceux qui réclament aux Nations Unies de faire jouer la Convention sur la diversité  biologique, le Plan d’action pour la Méditerranée et la Division pour les affaires juridiques des Océans – dont l’Egypte est partie prenante – n’ont pas été entendus.

Pourtant la mare nostrum d’Aristote et de Pline mérite d’être défendue et de rester « notre mer ».

Tandis qu’aux Philippines, à Palau, en Thaïlande, au Japon, on élève et on fait se reproduire du corail en laboratoire pour repeupler les récifs en danger, laissera-t-on dépérir la Méditerranée ?

Juli Berwald – International New York Times – 14 novembre 2014
Yuriko Nagano – International New York Times – 19 novembre 2014

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