EDITORIAUX 2004
Mars 2004
Une leçon de prospective

Il y a une dizaine d’années a été inventée une machine capable de créer des milliers de combinaisons chimiques et d’en tester les effets. Une aubaine pour les laboratoires pharmaceutiques : on allait, en un temps record, pouvoir créer et mettre sur le marché des milliers de nouvelles molécules, des milliers de nouveaux médicaments.

Aujourd’hui, le constat est là : c’est l’échec, cette machine n’a produit aucune invention. En 2003, la Food and Drug Administration (FDA) américaine n’a approuvé que 21 nouveaux médicaments, dont zéro en provenance des grands laboratoires super-équipés (contre 53 en 1996). Et on reproche aujourd’hui à ceux-ci de ne pas contribuer autant que nécessaire à la santé publique, alors qu’ils gagnent beaucoup d’argent.

Certes les standards de la FDA sont devenus plus exigeants, certes les maladies semblent plus complexes, certes les génériques réduisent le potentiel de recherche… « Dans dix ans, vous allez voir ce que vous allez voir « , disent les concepteurs des machines et ceux qui les commercialisent. Peut-être…

Comme les chercheurs en pharmacie, la prospective s’est vu reprocher de manquer d’instrumentation et de méthodes : seraient-elles géniales, les intuitions sont, disait-on, peu compatibles avec les pratiques d’entreprise. Des prospectivistes ont donc entrepris de développer une instrumentation ad hoc : consultations, modélisation, scénarios… Mais les entreprises n’ont pas trouvé auprès de cette prospective les orientations qu’elles attendaient pour innover, créer de la valeur, gérer les ressources au plan mondial. Ni les institutions publiques pour aller plus loin en termes de régulation, de gouvernance et de développement durable. Des anticipations proclamées « scientifiques » avaient remplacé la nécessaire recherche de concepts pour éclairer l’action et aller plus loin. La prospective était devenue affaire de techniciens et de services d’études et la relation naturelle entre dirigeants et prospectivistes, à propos de décision stratégique, avait été coupée.

Les nouvelles méthodes, les nouvelles machines doivent être prises, en prospective comme en pharmacie, pour ce qu’elles sont : non des baguettes magiques, mais des outils au service de l’intelligence, de l’imagination, de la sensibilité humaines, véritables sources de la créativité.

Le journaliste qui, dans le Wall Street Journal Europe du 24 février, rapportait le problème des laboratoires, remarquait que c’est avant tout l’intuition d’Alexander Fleming qui avait permis la découverte de la pénicilline en 1928, celle d’Akira Endo qui avait conduit à la mise au point des statines au début des années 1970.

Il aurait pu citer cet autre grand inventeur, Louis Pasteur – « la chance sourit aux esprits préparés » – et parler de « serendipity », une pratique suffisamment informée et éprouvée pour être capable de concevoir des associations d’idées à partir de ce qui, pour d’autres, ne relèverait que du hasard.

Cette serendipity rejoint notre démarche prospective, développée par essai et erreur, réflexion et action, à partir de l’œuvre de Gaston Berger : recherche du souhaitable, élaboration de nouvelles configurations, vérification par l’application.

La Société Internationale des Conseillers de Synthèse a raison de défendre la prospective contre vents et marées.

Armand Braun

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