EDITORIAUX 2007

Avril 2007
Prospective de la protection sociale

Comment transformer un dispositif en péril existentiel, mais considéré comme vital par l’ensemble de la population ? Telle est la question posée par la situation de la Sécurité sociale. Les Français y sont à ce point attachés qu’entendre parler de sa mise en cause leur est intolérable, que tous les candidats à l’élection présidentielle s’engagent sur sa pérennité et que ses réformes sont plus subies qu’acceptées.

Or notre système de protection sociale subit directement, dans toutes ses composantes, les effets conjugués du vieillissement de la population, du changement de nature du travail et du poids des prélèvements sociaux obligatoires. A propos du dossier des retraites, un exemple parmi d’autres : l’étude réalisée en février par l’Observatoire de l’épargne retraite révèle que 56 % d’entre nous considèrent que c’est à la puissance publique – Sécurité sociale ou Etat – de prendre en charge le financement des retraites ; et 64 % (les mêmes, plus quelques autres) se déclarent inquiets de l’aggravation continue de la dette sociale et des déséquilibres qui pèsent dans la durée sur la fiabilité d’un système structurellement bloqué. Il faut redouter que nous ne préservions notre tranquillité d’aujourd’hui sur les ruines de demain.

Le modèle actuel de la Sécurité sociale a été conçu pour un univers disparu. Ses fondateurs, de Bismarck à Beveridge et Laroque, avaient affaire à des sociétés jeunes, récemment urbanisées, des populations ouvrières nombreuses et pauvres, encadrées par des mouvements de masse. A l’opposé, notre époque est avant tout individualiste, même si elle conserve du passé l’attachement au système de protection sociale, parce que ce système rend d’immenses services à ses usagers et aussi parce qu’il a à ce point, de par sa réussite, formaté les esprits que toute idée d’évolution qui n’entrerait pas dans ce cadre est irrecevable. Que faire ?

Imaginons que nous consultions ces fondateurs. Ils agiraient en fonction des réalités d’aujourd’hui. Ils élaboreraient des dispositifs prenant en compte le besoin d’interaction entre les grands systèmes et la spécificité de chaque situation particulière. Ils auraient le souci des dynamiques de vie des personnes et des petits groupes dans le temps long. Et placeraient au centre de leur réflexion la conjugaison entre les solidarités globales et les solidarités de proximité. Ils constateraient que ce rôle d’interface et de médiation ne peut être assuré par les employeurs ou l’univers associatif et que malgré leur impréparation, les familles sont le seul cadre potentiel pertinent. Et ils en viendraient à plaider que seules les Associations de solidarité familiale sont l’entité collective de proximité autour de laquelle une protection sociale durable peut se mettre en place.

Aujourd’hui, cette approche ne sera pas jugée réaliste. Aussi longtemps que perdurera la situation actuelle, personne n’a intérêt à tuer la poule aux œufs d’or. A fortiori quand on ne veut pas savoir que cette poule est sous perfusion.

Rappelons, en quelques mots, de quoi il s’agit : au sein d’un cadre familial ouvert et volontaire, mettre en commun, à partir du patrimoine familial ou de concours extérieurs, les ressources que l’on fera fructifier solidairement dans la durée, et qui, non préaffectées, serviront à terme à aider des membres du groupe à prendre en charge des préoccupations telles que la maladie, l’invalidité, l’éducation et la formation, le chômage, le grand âge. Il s’agira longtemps d’appoints à la contribution des grands systèmes, mais ces derniers découvriront qu’ils n’ont, en regard des épreuves financières (et inévitablement politiques) qui sont devant eux d’autres vraies alliées que les Associations de solidarité familiale.

Armand Braun

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