EDITORIAUX 2007

Mars 2007
Prospective du pouvoir chinois

Quelque chose est en train de changer dans l’image de « puissance douce » (soft power) que la Chine veut présenter d’elle au monde. Simultanément, elle a lancé une fusée qui prouve sa volonté de participer un jour militairement à la conquête de l’espace, réprimé plus encore qu’auparavant l’accès de ses citoyens à Internet, suscité des accusations de colonialisme en Afrique et manifesté par diverses déclarations que la réalité de son ambition mondiale va bien au-delà de ce qui en est montré, qu’elle tend vers des objectifs non dits et pourtant très précis, peut-être pas tous sympathiques.

L’événement du moment est un documentaire fleuve de dix heures, L’essor des grandes puissances, que tout le monde a vu en Chine. Il montre comment d’autres pays sont devenus des grandes puissances, pourquoi ils ont cessé de l’être et surtout pourquoi et comment elle-même pourrait devenir demain une superpuissance, ses concurrents d’aujourd’hui étant voués à décliner.

On y cite cette formule de Deng Xiaoping au début de l’ère des Réformes : « Il ne faut pas montrer ses talents et attendre son heure ». Par ailleurs, l’un des grands sites Internet de Chine, sina.com, affirme : « Le peuple chinois, la race chinoise a retrouvé son énergie et surgit de nouveau sur la scène internationale ».

En prospective, il faut se demander s’il est réaliste pour la Chine d’ambitionner le titre de superpuissance sans devenir un pays de citoyens libres. Prend-elle en compte que désormais, et contrairement à son expérience historique, il n’est plus de puissance sans liberté ? Sait-elle que, plus que tout, c’est la démocratie qui a rendu possible la réussite des pays d’Occident ? Que la volonté de puissance n’est qu’un jouet pour dirigeants si elle ne sait s’appuyer sur la participation vertueuse de la population, en termes non seulement de travail, mais aussi de réflexion, de création, d’invention, de pensée libre ? Qu’entre l’arbitraire d’Etat et la confiance dans le comportement des citoyens il faut choisir ? Et saura-t-elle mettre de côté pour de bon ce ressort primitif toujours prêt à servir : le nationalisme ?

Le pire est possible : il pourrait être expliqué par les épreuves sans pareil que ce pays a connues, les centaines de millions de personnes affamées, torturées, massacrées au temps de Mao – les médias occidentaux ne voyant rien et célébrant tout. Alain Besançon note à ce propos, dans la revue Commentaire (n° 116), que « trop de souffrances subies et infligées poussent à la méchanceté générale ; jointe à la puissance économique, technique, militaire, celle-ci ne laisse rien présager de bon ».

Le meilleur aussi. Le potentiel est là pour qu’il se réalise. On le rencontre en Chine et parmi les Chinois à l’étranger, tous résolus à s’éloigner irréversiblement de ce passé dramatique. On voit bien que la Chine cherche à retrouver les profondes racines de sa culture pour en faire surgir sa présence au monde demain. Si, dans ces conditions, elle sait contribuer à l’émergence d’une civilisation universelle de la personne, nous vérifierons ce mot du Général de Gaulle en 1964 : « la Chine va reprendre toute sa place dans le monde, qui est immense ».

Armand Braun

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