EDITORIAUX 2007

Mai 2007
Prospective, hérésie et mauvaises herbes

« Il y a une écologie des mauvaises idées,
comme il y a une écologie des mauvaises herbes. »

Gregory Bateson

Peut-être devrions-nous aborder les questions d’environnement à la manière dont les Japonais gèrent les tremblements de terre. Ils savent qu’il s’en produira, mais ils ne savent ni où, ni quand, ni sous quelle forme, ni avec quelle intensité. Ils se sont donc entraînés et organisés en conséquence : la population a appris depuis l’école les précautions à prendre, les équipements sont conçus pour résister. Le même tremblement de terre qui ferait des milliers de victimes ailleurs ne perturbe pas longtemps l’activité.

Tout le monde a lu le rapport de Nicholas Stern, ou en a entendu parler, même les milieux jusqu’à présent les plus sceptiques admettent désormais que de graves bouleversements écologiques pourraient se produire avec la soudaineté d’un tremblement de terre… Et pourtant, grande serait la perturbation, sans doute aggravée encore quand il apparaîtrait qu’elle pourrait n’être que le prélude à une situation irréversiblement différente.

L’attitude prospective est particulièrement appropriée ici, car elle implique proximité vis-à-vis des faits et réserve vis-à-vis des opinions, souci conjugué de la vue d’ensemble, du mouvement et de l’action. C’est pourquoi nous proposons ici quelques idées simples pour, dans la masse énorme des tâches à accomplir, gérer l’inévitable.

Vite, multiplier et généraliser les initiatives de prévention et d’accompagnement, déjà engagées (diminution des émissions de CO2 par l’industrie et les automobiles…), ou envisagées (bâtiments écologiques…), aller de l’avant dans la conception et la mise en œuvre d’une nouvelle génération de modes d’organisation, de produits et de systèmes, donner leur chance aux compétences et aux idées.

Bien comprendre que l’accompagnement et la prise en charge des phénomènes, notamment climatiques, que nous pouvons être amenés à connaître relèvent de la société, des sociétés, et non d’abord des autorités publiques. De fait, et c’est encourageant, nombreuses sont les personnes, les collectivités locales, qui commencent à agir.

Affirmer le caractère essentiel de la gouvernance, qui donne sa chance à une société civile devenue mondiale, interactive et synchrone, qui subordonne le local au global mais peut instantanément « globaliser le local », une société d’opinion façonnée par la « modernité liquide », selon l’expression du sociologue Zygmunt Bauman. Qui nous laisse libres face aux appels à une frugalité virgilienne ou rousseauiste, dont le cadre le plus évident serait une de ces sociétés totalitaires, pour lesquelles l’innovation est toujours synonyme de risque politique. Qui permet au développement durable de se faire effectivement, dans l’entre-deux de l’esprit, de la recherche de sens, de l’équilibre entre l’être et l’avoir.

Anticiper les émotions collectives qui se manifesteront au début de la crise et risquent d’être destructrices et de compromettre des avenirs possibles.

Et sans cesse nous référer à la matrice atemporelle de tout changement :

« Regardons en arrière, nous montons par degré l’échelle de la création.
Nous avons été minéral, plante, puis animal et enfin homme ;
En laissant pour toujours la terre nous deviendrons anges.
Dépassons même la condition des anges !
Pénètre en cet océan,
Et la goutte d’eau que tu es pourra devenir mer. »

Pietro Citatti (in La lumière de la nuit)

Légitime à porter ce message, l’Europe aurait vocation à devenir le premier, le plus imaginatif, le plus audacieux des laboratoires de la gouvernance.

Armand Braun

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