EDITORIAUX 2009
 

Décembre 2009
Prospective du féminin : la vraie question

Quand on évoque la reconnaissance du rôle des femmes dans la société, on pense avant tout à celles auxquelles s’intéressent les médias : celles qui aspirent à des fonctions dirigeantes et se réunissent périodiquement en congrès à Deauville pour le proclamer, celles qui se font remarquer en se dissimulant sous une burqa, choisie ou imposée. On oublie les dizaines de millions d’autres femmes, au travail dans toutes sortes de branches.

C’est d’elles pourtant qu’il devrait s’agir. Leurs métiers sont en train de changer. Une secrétaire, une infirmière, une ouvrière, une caissière de grand magasin, une artisane… ne doivent pas moins s’adapter qu’un(e) ingénieur(e) ou un(e) manager. Elles ont besoin de se familiariser avec de nouveaux concepts, de nouveaux instruments, de nouveaux comportements.

Cette évolution ne s’accomplit pas dans de bonnes conditions, si l’on en juge d’après la médiocrité des rémunérations ou encore le fait que, choisi ou subi, l’emploi à temps partiel est en majorité dévolu aux femmes. Ces femmes sont parmi les actifs qui subissent encore la plus forte empreinte de l’ancienne organisation du travail. La société leur assigne une vocation prétendue pour des métiers humbles (dresser des contraventions…), isolants (l’aide à la personne…), précaires et sans réelles perspectives. La plupart, enfin, gèrent en même temps un foyer, élèvent des enfants… Elles font preuve aujourd’hui d’une silencieuse résignation à laquelle nul ne prête suffisamment attention.

On ne voit pas assez que, dans un pays vieillissant où l’empreinte du passé a tellement de mal à se dissiper, ces femmes constituent l’essentiel de nos réserves de croissance. Elles sont motivées mais, parce qu’elles sentent les circonstances encore défavorables, elles refoulent souvent leur ambition, se découragent.

Nous avons tort de ne placer nos espoirs que sur les jeunes femmes les plus diplômées. L’esprit d’entreprise, l’imagination, la compétence, le courage appartiennent à toutes. Et nous en avons grand besoin. Les entreprises et les administrations, traditionnellement machistes, auront besoin de donner leur chance à beaucoup de femmes en raison du vieillissement, du besoin de renouvellement des compétences, des pénuries croissantes qu’elles vont subir. D’ailleurs, les circonstances permettront désormais que surgissent parmi les femmes de vrais profils et de vrais parcours d’entrepreneurs, avec leurs épreuves et leurs réussites (même si ce sont surtout des entreprises individuelles). La prospective du féminin ne doit pas s’adresser uniquement à celles qui rêvent de devenir calife à la place du calife ou à celles qui ont la nostalgie du calife, mais à toutes les femmes.

Attention cependant ! Il s’agit bien d’encourager les femmes et on sent bien que des initiatives symboliques sont indispensables. Mais n’allons pas dans le sens de la nouvelle propension de la société française à compartimenter, fragmenter, découper. Les communautarismes, les appels à toutes les parités, mêmes l’invocation de prétendues qualités spécifiquement féminines ne feraient que poursuivre les pratiques de différenciation dont les femmes ont été victimes tout au long de l’Histoire, dont elles sont encore victimes dans de nombreux pays, dans de nombreuses cultures, et dont nous avons la chance de nous éloigner. Ce qui va dans le sens de la reconnaissance sociale des femmes ira dans le sens de la promotion de toutes les personnes.

Armand Braun

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