EDITORIAUX 2009

Septembre 2009
Prospective : faut-il vraiment espérer la fin de la crise ?

Etant donné les épreuves dues à la crise, nous ne pouvons que joindre notre voix à toutes celles qui se réjouissent de sa fin annoncée, au moment où se multiplient les champs de ruines dans l’industrie et ailleurs.

Pourquoi cette annonce suscite-t-elle alors cette étrange impression de « drôle de guerre », rappelant ces quelques mois du premier semestre de l’année 1940 où la France vaquait à ses occupations, convaincue que l’Allemagne n’attaquerait jamais ?

Parce que nous occultons les mauvaises nouvelles : chômage, régression de l’activité, problèmes d’environnement, endettement public sans précédent en temps de paix et toujours en expansion, appauvrissement de la population, désormais visible dans les grandes agglomérations, à commencer par Paris. A-t-on remarqué ce mauvais tour que semble vouloir nous jouer le destin, que ce qui est durable, ce n’est pas le développement, ce sont les ennuis ?

Parce que nous n’avons pas suffisamment conscience du désarroi des Français, de l’ampleur des drames humains, des dérives politiques que ceux-ci risquent d’entraîner et dont, là aussi, des signes sont déjà visibles, en particulier parmi les jeunes voués au chômage.

Parce que nous n’avons toujours pas compris le sens profond de cette crise. Elle n’a rien de commun avec celle de 1929, excepté le fait que, comme à l’époque, il y a lieu de penser qu’il faudra des années pour que nous résolvions son mystère. On ne peut manquer d’être impressionné, dans le monde entier, par l’absence de vision, la recherche de boucs émissaires, la pauvreté des idées, la montée de la peur.

La crise actuelle est prospective. Elle résulte du changement d’époque, du mouvement du monde. Elle découle du choc entre un héritage conceptuel et organisationnel des XIXe et XXe siècles qui ne veut pas disparaître et « la référence de l’avenir », comme disait Gaston Berger, c’est-à-dire les immenses ouvertures que nous offre le XXIe siècle.

Le regard prospectif met en relief un étrange décalage : dans les lendemains immédiats de la Seconde Guerre mondiale, il a fallu reconstituer l’organisation sociale, très vite et dans tous les domaines : le travail, l’emploi, l’éducation, le logement, la santé, l’économie, le transport public, la culture… Ces réformes ont été conçues dans les conditions toutes particulières de cette époque. Tout a changé depuis, plusieurs fois, en France et dans le monde, mais pas les formatages organisationnels mis en place alors et farouchement protégés. Pour les défenseurs de ces citadelles et leurs relais dans les médias et le monde politique, il n’y a d’autre avenir envisageable que le présent continué. La mode du vintage exprime la nostalgie d’un passé idéalisé et le terrible manque d’idées. La soumission volontaire des Français aux administrations et l’autorité intellectuelle accordée à de faux prophètes vont dans le même sens. Si demain les augures nous annoncent que la crise est finie tout le monde sera content, nous laisserons filer, la course vers la catastrophe se précipitera : il est d’ores et déjà possible d’évaluer ce que sera dans dix ans la dette publique ; il est d’ores et déjà possible d’en évaluer les conséquences pour le statut de la France dans le monde et pour la condition des Français.

Pourtant, il y aurait tant à faire ! Repenser les fonctions, essentielles, que ces organisations assurent dans le présent mais dont elles ne sont plus capables de préparer l’évolution. Concevoir la solidarité et la responsabilité en termes empreints de la référence de l’avenir et non plus de droits acquis prétendus. Prendre en charge enfin les questions désormais essentielles que le conformisme nous empêche de traiter, par exemple, entre autres mais essentielles, celles qui concernent le développement humain et professionnel des personnes.

Combien d’années encore, peut-être jalonnées de drames – que nous attribuerons au destin en nous exonérant de toute faute – faudra-t-il pour que nous cessions de penser à reculons, pour que nous décidions enfin de nous inventer un avenir ?

Armand Braun

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