EDITORIAUX 2010

Septembre 2010

Prospective de la Sécurité sociale : 10 % pour la proximité

Peut-on sauver ce chef d’œuvre en péril qu’est devenue la Sécurité sociale ?

Même les projets de réformes les plus audacieux s’inscrivent à l’intérieur du cadre conçu il y a soixante ou quatre-vingt ans par Beveridge, Laroque et leurs successeurs sur la base de l’emploi salarié et d’une démographie qui assurait le renouvellement harmonieux des générations. Or ces fondations ont cédé. Et, même si nous devions retrouver un jour le plein emploi, le travail a changé de nature, ainsi que sa place dans la vie des gens.

La Sécurité sociale a été créée au temps de la société de masse que symbolisait la fameuse image de la sortie des Usines Renault. L’attachement que lui portent les Français demeure. Mais aujourd’hui, tout est changé, la capacité d’intervention sociale de l’Etat s’affaiblit, le poids des dispositifs de Sécurité sociale dans les comptes publics devient de moins en moins supportable. L’opinion publique perçoit, de réforme en réforme, l’irrésistible montée des périls auxquels celle-ci est exposée.

Les gens s’inquiètent : comment seront assumées dans l’avenir les charges de santé, de chômage, d’invalidité, de retraite… jusqu’ici assurées par les dispositifs existants ? Et comment prendre en charge d’autres besoins tout aussi essentiels comme l’éducation des enfants, la formation permanente des adultes ou les services aux personnes âgées ?

Est-il concevable d’assurer autrement les missions jusqu’à présent portées par la Sécurité sociale et d’identifier un autre terrain sur laquelle la reconstruire ? Ce terrain existe, son potentiel est considérable : c’est la société civile. Certes, celle-ci est hétérogène et inégalitaire, mais ces handicaps peuvent devenir des opportunités.

La cohésion sociale que les grands systèmes n’assurent plus pourrait l’être au niveau des entités sociales élémentaires, les groupes de proximité, les familles. C’est là que le développement des personnes est vraiment pris en compte et que s’exerce aujourd’hui une efficace solidarité de proximité. Le moment est venu d’aborder ensemble la question de la protection sociale et la situation de la société civile.

Et si certains dysfonctionnements de la société s’expliquaient par le fait que les institutions collectives l’ont libérée de la responsabilité de solidarité qui était historiquement la sienne ? Et s’il devenait indispensable d’envisager que l’emploi devienne rare et de rechercher de nouveaux supports et de nouveaux contextes pour la protection sociale ? Dans la logique d’hier, il est encore question de droits sociaux ; dans la logique de demain, il y aura la participation responsable et solidaire à des entités de protection sociale de proximité.

On ne le sait pas assez, on ne le voit pas assez en raison d’énormes disparités, mais la société civile dispose de ressources considérables. Pour la plus grande part, ces ressources, principalement placées dans l’immobilier ou auprès d’organismes financiers, ne sont pas facilement mobilisables. Or le patrimoine des Français équivaut aujourd’hui à 7,3 années de revenu disponible. Est-il possible de méconnaître et d’ignorer plus longtemps l’importance de ce patrimoine, la possibilité d’en faire le fondement d’initiatives originales en matière de protection sociale ?

Compte tenu des problèmes issus du passé auxquels s’ajoutent ceux qui se profilent, il devient vraiment urgent de permettre à la société civile de s’organiser pour assumer elle-même la solidarité.

C’est le projet des Associations de solidarité familiale ou Fonds familiaux. Il consiste à motiver des petits groupes spontanés (constitués dans le milieu familial, amical, associatif…) pour gérer eux-mêmes, avec l’appui d’institutions financières s’il y a lieu, dans la durée, leurs responsabilités et leurs projets de protection sociale. C’est investir à fond perdu dans l’intérêt de tous, qualifiés et non qualifiés, jeunes et vieux, nationaux et immigrants. C’est aussi renforcer le tissu social en vue de lendemains peut-être difficiles.

On pourrait imaginer que, dans l’ensemble des structures de la Sécurité sociale, les groupes de proximité soient représentés à hauteur de 10 %. (Ces groupes n’ont pour le moment qu’une existence virtuelle ou officieuse, mais il leur faudrait peu de temps pour s’organiser). Leur impact sur la protection sociale de leurs membres restera longtemps faible. Mais très vite ils pourraient introduire dans la culture de la Sécurité sociale un utile contrepoint d’implication effective des personnes et d’innovation sociale.

Hölderlin n’a-t-il pas écrit : « Là où est le péril, là est aussi la solution » ?

Armand Braun

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