EDITORIAUX 2011

Juin 2011

Prospective : Fukushima en Europe

Après Fukushima, le Japon fait face en réparant les dégâts aussi vite que possible mais aussi en réinventant, avant tout dans l’industrie, sa stratégie de développement. Celle-ci avait fait les beaux jours du pays autour d’un objectif : la recherche de la qualité maximum. Mais d’autres pays avaient progressivement atteint un niveau comparable, dans l’industrie automobile entre autres, et le Japon connaissait depuis les années 1990 une relative stagnation, tout en demeurant pour le monde entier une source dont le drame a mis en valeur l’importance. L’affaire de l’I-Pad – un produit qui conquiert le monde, conçu aux Etats-Unis, réalisé à partir de matériel en grande partie japonais – avait déjà traumatisé le Japon : « pourquoi l’I-Pad n’est-il pas japonais ? ».

La nouvelle stratégie japonaise consiste toujours à rechercher la qualité maximale, désormais un impératif universel, mais aussi à privilégier l’innovation, non pas dans les mots, comme le fait n’importe qui, mais dans la pratique, comme deux pays savent le faire mieux que les autres : Israël et le voisin chaque jour plus performant du Japon, la Corée du Sud.

La situation de l’Europe aujourd’hui, c’est Fukushima : une immense catastrophe, qui risque d’entraîner des conséquences encore plus vastes et surtout de durer plus longtemps. La plupart de nos pays, accablés de soucis, vivent sous perfusion ; les Etats retrouvent, à propos des fonds de retraites privés, leur vieil instinct prédateur (la Hongrie, maintenant peut-être l’Irlande) ; seules quelques nations se maintiennent (l’Allemagne, la Suède…) ; entre les acteurs de ce petit monde, les rapports de force retrouvent l’âpreté qui a conduit à la Première guerre mondiale et contre laquelle les institutions européennes ont été créées. Et, pour ne pas compromettre notre confort, nous faisons comme si la dérive des comptes publics, dont nous sommes tous responsables, ne concernait pas chaque Français et ses descendants.

La différence avec ce qui se passe au Japon, c’est que bien loin d’arrêter cette dérive, nous désignons des boucs émissaires (la mondialisation, les banquiers, les hauts revenus, les étrangers…). Nous nous permettons de critiquer les pays, Allemagne, Canada, Suisse, Turquie, qui, ayant décidé de ne pas entendre les protestations, ont procédé en temps utile aux adaptations nécessaires et n’ont pas de problèmes aujourd’hui. Nous encourageons ainsi des courants populistes exprimant le désarroi, bientôt incontrôlable peut-être, de tous ceux à qui on n’a jamais dit que les dépenses et les droits ne seraient durables s’ils n’étaient équilibrés par autant de devoirs et de création de richesses. Y a-t-il une chance pour que nous fassions nôtre, dans notre propre contexte, la stratégie que pratique désormais le Japon, selon les paroles mêmes de son ministre de l’Economie : « ce drame doit être le déclencheur de la construction d’une nouvelle économie » ? Il y a lieu d’en douter.

Dès demain, le pire est possible. Alors que la France persiste dans un somnambulisme agrémenté par des faits divers ou de vains débats électoraux, le malheur est à nos portes : méditons ce que subissent nos malheureux amis Grecs, ouvrons-nous à l’émigration massive des jeunes Irlandais, soyons obsédés par le fait qu’en Espagne presque un jeune sur deux est au chômage. Et de jour en jour, dans nos rues, la misère du monde est un peu plus présente.

Le sursaut serait possible, nous en avons tous les atouts. Pourquoi cette pusillanimité, dont l’affaire des détecteurs de radars est le plus récent exemple ? Pourquoi ne comprenons-nous pas que tout est à faire ! L’époque offre à la France des occasions innombrables de se transformer, de s’adapter, d’arrêter le déclin de sa présence dans les sciences, les techniques, l’éducation, des occasions pour réaffirmer sa présence au monde. Nous avons déjà connu, notamment au XIXe siècle, de telles périodes où toute vision stratégique s’était effondrée, où l’Etat prétendait préparer l’avenir alors que, telle la cigale l’hiver, il était si démuni. Et où, à l’initiative de la société, tout est reparti et l’optimisme, la foi dans l’avenir, ont réapparu. Que ceci soit l’occasion d’évoquer ce qui s’est passé au XIXe et au début du XXe siècle, de Saint-Simon jusqu’à Einstein, avec tant d’illustres chercheurs (Pasteur…), entrepreneurs (les frères Pereire…), de romanciers (Jules Verne…) et de politiques (Napoléon III). La réunion à Paris ces jours-ci des principaux acteurs de l’économie numérique restera un coup d’épée dans l’eau si nous ne nous armons pas de courage pour faire de l’ordre dans nos affaires.

Au début des années 1950, nous sommes allés chercher des idées pour améliorer notre productivité industrielle aux Etats-Unis. Nous avons fait de même au Japon dans les années 1980. Aujourd’hui, c’est notre efficacité administrative qu’il faut mettre à niveau. Il est impératif de briser les innombrables carcans que nous avons nous-mêmes mis en place au nom de bonnes intentions faiblement réfléchies et qui contribuent tant à notre ruine. Des exemples étrangers peuvent nous inspirer.

Mais l’inquiétude crée en tous domaines des crispations qui nous clouent sur place. L’affaire des gaz de schistes est ici exemplaire ; alors que notre dépendance vis-à-vis des importations de gaz et de pétrole avoisine 100 %, des intérêts locaux s’opposent à toute initiative. Nous prétendons préserver notre genre de vie alors que nous acquittons déjà le tribut de la dette, celui de l’énergie, bientôt celui de l’environnement… Pour le moment, c’est la force des choses qui l’emporte.

Espérons un miracle… !

Armand Braun

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