EDITORIAUX 2012

Octobre 2012

Prospective : le législateur, lui aussi, a besoin de formation

Le Parlement – Assemblée Nationale et Sénat principalement – constitue l’une des institutions fondamentales de la République. Pourtant, il est aujourd’hui :
– encadré par les traités internationaux signés par la France ainsi que par le tissu serré des lois et règlements qu’il ne fait que transposer,
– contraint de prendre en compte les politiques européennes (environnement, énergie … ), les stratégies de nos partenaires internationaux et celles d’acteurs extérieurs au monde public (patronat, syndicats, etc…),
– confiné dans des problématiques impopulaires (la fiscalité ; les parlements ont été inventés pour légitimer l’impôt), ou subordonné à des décisions qui ne sont pas de son ressort,
– surveillé par une opinion publique passionnelle et versatile à laquelle des mouvements associatifs hyperconnectés confèrent omniprésence et réactivité,
– contrôlé par des juges publics qui interviennent au moindre excès dans l’usage du modeste pré carré décisionnel qui lui reste…
…sans parler de l’administration et de l’Etat.

Enfin, la législation devient séquentielle : la majorité d’aujourd’hui peut défaire ce qu’a fait la majorité d’hier, la majorité de demain pourra défaire ce que fait la majorité d’aujourd’hui. La continuité, longtemps caractéristique éminente des politiques publiques, est mise en péril et, avec elle, l’intérêt général. Et le Traité budgétaire européen, par ailleurs si pertinent, n’arrangera rien dans ce domaine. Dans le jeu institutionnel, le Parlement est poussé dans un coin, comme au jeu de go. Cet abaissement de fait des parlements – parler beaucoup de ce qui s’y passe, veiller à ce que l’essentiel se décide ailleurs – n’est pas propre à la France, on le retrouve peu ou prou dans les autres pays d’Europe. Ce n’est pas sain, cela nuit à la démocratie. Prétendre trouver des remèdes dans des réformes institutionnelles n’est que bavardage. Peut-être faudrait-il explorer un thème auquel nul ne pense : la formation professionnelle des parlementaires. Je m’explique.

La fiction selon laquelle, en matière parlementaire, la fonction crée l’organe, c’est-à-dire l’élection crée la compétence, a besoin d’être revisitée pour bien des raisons : les passions populaires, que les assemblées ont vocation à relayer, ont acquis du fait d’Internet une puissance que les parlementaires ont de plus en plus de mal à canaliser ; la complexité croissante des dossiers les trouve bien démunis face à l’instrumentalisation que pratiquent vis-à-vis d’eux l’Etat, les organismes d’études, les groupes de pression, les agences de communication, leurs propres partis ; ils ne sont intellectuellement et matériellement équipés ni pour comprendre les antécédents des questions qu’ils traitent, ni leurs effets à terme, ni les responsabilités qu’ils assument ; et si demain le cumul des mandats leur est interdit, ils perdront leur ultime lien avec la réalité. Seuls, à ma connaissance, les Etats-Unis ont compris le caractère essentiel de cette question et accordé au Congrès et à sa Bibliothèque des moyens considérables.

Sur le fond, c’est en retrouvant le génie de la démocratie représentative que nous nous donnerons une chance d’arrêter la discrète régression de l’institution parlementaire. La démocratie représentative consiste à dissocier la légitimité des passions. Alors qu’il s’agit désormais de naviguer dans des eaux inconnues et que les décisions en noir ou blanc n’auront plus de sens, nous avons besoin de mettre en œuvre la vision de Jean-Jacques Rousseau : le représentant du peuple doit être pleinement libre, libre de son information, de sa pensée, de son expression, voire de sa solitude. Tout cela s’apprend, et pas seulement sur les bancs des Assemblées ou dans les fauteuils de leurs commissions. La formation professionnelle des élus doit être abordée comme une idée neuve, indissociable de leur mission.

C’est avec amusement que nous prendrons connaissance des arguments qui seront éventuellement opposés à ce point de vue… C’est avec soulagement et impatience que les élus de la Nation nous approuveront, tant devient incommensurable le décalage entre leur mission et l’environnement qui leur permet de la mettre en œuvre.

Armand Braun

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