EDITORIAUX 2012

Février 2012

Prospective : les Mayas et nous

Absurde ! C’est le qualificatif qui convient lorsque quelqu’un prétend comparer ce qui se passe en ce moment en France et dans quelques autres pays européens avec la rapide disparition, autour du VIIIe siècle après J-C, de la prestigieuse civilisation précolombienne des Mayas ! Que l’on nous permette cependant d’avancer un peu…

L’imprévision semble avoir été l’une des causes de la tragédie Maya : manque d’eau, disparition de certaines ressources naturelles. La bureaucratie en a sans doute été une autre : aussi longtemps qu’elle l’a pu, elle a surtout apaisé les inquiétudes ; c’était le mieux qu’elle pouvait faire car on peut imaginer qu’elle était formatée selon un programme dont elle ne pouvait pas se dégager. Quand il a été trop tard, les dirigeants ont sans doute expliqué à la population qu’elle subissait ce châtiment pour avoir provoqué la colère des dieux. Quand tout a été fini, l’establishment maya a, comme tous les autres, dévalé les pentes pour aller se perdre dans le néant de la jungle.

La même imprévision a été à l’origine de l’affaire de la dette. On n’a pas voulu identifier les enchaînements pervers que les subprimes inventés aux USA au temps du président Clinton allaient entraîner. Les Etats européens, sur le modèle américain, abandonnant toute prudence, se sont endettés sans se soucier du lendemain.

Avons-nous, dans la crise actuelle, été meilleurs que les Mayas ? La réponse est positive pour des nations telles que le Danemark, le Canada, la Suède qui ont donné priorité au redressement des comptes publics il y a dix ou vingt ans, suscitant de ce fait les commentaires narquois des pays aujourd’hui à la peine. Nous détestons les agences de notation car elles sont les messagères de mauvaises nouvelles dont nous sommes nous-mêmes la cause.

Le « mur de la dette » nous expose à de possibles enchaînements fatals qui, à partir d’un problème, par exemple l’accès des entreprises au crédit, peuvent se déclencher du jour au lendemain. Or il est là pour longtemps, avec pour conséquences d’une part la nécessité d’aller quêter tous les mois notre subsistance sur les marchés des capitaux, d’autre part l’installation des créanciers dans les branches les plus prestigieuses de notre activité. Peut-être faudrait-il « cartographier » l’ensemble des impacts négatifs, voire positifs que la situation peut induire pendant dix ans, vingt ans ou plus dans tous les domaines de la vie.

Tout cela limite déjà notre capacité à investir, à promouvoir la recherche, à préserver les équilibres sociaux nécessaires à l’unité nationale. Et représente aussi, on le verra hélas de plus en plus, de vrais périls pour notre rôle dans le monde, voire notre identité en tant que nation. Nous avons beau, quand nous le pouvons, tirer parti de circonstances momentanément favorables pour nier la gravité de la situation, les faits sont là. Décidément, la comparaison avec la fin des Mayas n’est pas si absurde.

Pourtant, l’essentiel demeure pour le moment et nous sommes encore capables de nous réinventer. Les Mayas étaient une civilisation aristocratique, théocratique et despotique dans le monde à l’époque fermé de l’Amérique centrale. Nous sommes une société démocratique du monde ouvert et sophistiqué du XXe siècle. Nous savons la valeur de ce que nous représentons. Fort heureusement, les individus, la société civile, le monde économique sont beaucoup moins à la main de l’Etat qu’ils ne l’étaient dans un passé récent. Nous avons encore la possibilité de choisir notre destin. Nous en avons les moyens. Or, de l’observation de ce qui est arrivé aux Mayas et à d’autres peuples, Jared Diamond a dégagé cette leçon dans son remarquable ouvrage Effondrement – comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie (Gallimard- 2006 ) : il n’est pas de société qui n’ait sa chance de survivre, pour autant qu’elle comprenne ce qui est à faire et qu’elle soit résolue à le faire.

Là se situe l’enjeu. Quand nous déciderons-nous à devenir sérieux ? A, dans un pays où les gens ne se parlent plus, où les prismes idéologiques se substituent au bon sens, cesser de se jeter à la figure de prétendues solutions, aborder ensemble les vrais problèmes. Remettre en chantier les machineries publiques mises en place après la deuxième Guerre mondiale et aujourd’hui génératrices de coûts immenses et qui souvent font obstacle à l’initiative des personnes. Il faut trouver de vraies réponses à l’attente de sens et d’espoir des Français et des autres Européens qui connaissent les mêmes épreuves que nous. Le pessimisme qu’entraîne la situation pourrait, si nous décidions enfin de nous mettre au travail, se dissiper et laisser place à la résolution de vivre. Ou encore, comme le déclarait récemment un dirigeant chinois s’adressant à des Européens : « nous vous estimerons à nouveau quand vous, vous retrouverez l’estime de vous-mêmes ».

Qui sait si nous n’aurons pas besoin de Kukulcan, le serpent à plumes, qui chez les Mayas était le dieu de la civilisation, pour éviter qu’un jour nous ne soyons pas à notre tour, sous une forme ou une autre, contraints à une fuite éperdue !

Armand Braun

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