RECHERCHE PROSPECTIVE : BIBLIOTHEQUE

Méthode et résultats
par Gaston Berger

La Prospective n’est ni une doctrine, ni un système. Elle est une réflexion sur l’avenir, qui s’applique à en décrire les structures les plus générales et qui voudrait dégager les éléments d’une méthode applicable à notre monde en accélération.
Or cette description fait apparaître que l’avenir est tout autre chose que ce qu’y voit généralement la pensée commune. Il n’est point une « région » particulière de la continuité temporelle. Il n’est pas, simplement, la série des moment qui ne sont pas encore arrivés. Le temps, par ailleurs, pris dans son ensemble, n’est pas cette sorte de substance continue et fluide qui s’écoulerait régulièrement et le long de laquelle se déposeraient les évènements. Pour l’homme, passé et futur sont hétérogènes. Ils ne sont pas des moments d’une même série. Ils n’ont de sens concret, de sens humain, que lorsque nous les rapportons à notre action : le passé, c’est ce qui est fait, l’avenir, c’est ce qui est à faire.
Issue de nos problèmes les plus pressants, nourrie de notre inquiétude la plus authentique, la prospective n’est pas simplement l’expression d’un intérêt gratuit que nous porterions à l’avenir, sans nous arracher pour autant à nos habitudes. Elle ne vise pas à satisfaire notre curiosité, mais à rendre nos actes plus efficaces. Elle ne veut pas deviner, mais construire. Ce qu’elle préconise, c’est une « attitude pour l’action ». Se tourner vers l’avenir, au lieu de regarder le passé n’est donc pas simplement changer de spectacle, c’est passer du « voir » au « faire ». Le passé appartient au domaine du sentiment. Il est fait de toutes images dont nous regrettons la disparition et de toutes celles dont nous sommes heureux d’être délivrés. L’avenir est affaire de volonté. Prendre l’attitude prospective, c’est se préparer à faire. Ce n’est pas renier la tradition mais la vivre, c’est-à-dire la prolonger et, peut-être, l’enrichir. C’est écouter les leçons de l’histoire pour être plus prudents dans nos actions, et plus féconds dans nos œuvres, non point plus acerbes dans nos critiques. C’est croire avec Hegel que « l’idéal est plus réel que le réel », mais c’est donner à cette formule un sens explicite très simple : ce qui est à faire est plus important que ce qui est déjà fait.

Revue prospective n°6, novembre 1960, Presses Universitaires de France

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